• Peut-on peindre la mer en son entier

     

     

     

     

     

     

     

     

    La mer en son entier

     

    C'était dans un pays lointain, il y a longtemps.

    Il y a mille ans, peut-être d'avantage.

    Comment se fait-il que je m'en souvienne? Mon grand-père me l'a raconté, qui le tenait lui même de son grand-père, qui le tenait lui-même de son grand-père, qui le tenait lui-même de son grand-père.

     

     

     

     

    Il y a très longtemps donc, un roi du quitter à la hâte son pays. Il eu juste le temps d'emporter sous son bras une peinture qui représentait son palais jouxtant la mer et les arbres et la végétation. Mais il était parti si vite que le peintre n'avait pas eu le temps de finir la peinture, et la mer n'était pas peinte en son entier. Mais, peut-on peindre la mer en son entier?

    En son exil, le roi eut un fils. Lorsque l'enfant mangea dans ses trois ans et que ses yeux furent assez aiguisés pour distinguer le vert du bleu et l'orange du rouge, le roi, son père, pris l'habitude de lui montrer chaque jour la peinture afin que, loin de son pays, l'enfant garde en mémoire le palais jouxtant la mer et les arbres et la végétation.

     

    Il lui expliquait: «La mer n'est pas finie. Si je rentre chez nous un jour, j'appellerai le peintre pour qu'il la termine, pour qu'il peigne la mer en son entier.» Il pensait à part soi: «Peut-on peindre la mer en son entier?»


    Et le prince, son fils, était émerveillé des merveilleuses couleurs du magnifique palais jouxtant la mer et des arbres et de la végétation.

     

     

     

     

    Il se passa bien des années. Le roi mourut, comme cela arrive aux meilleurs, comme cela m'arrivera, inévitablement, et comme cela vous arrivera sans doute. Et quelques temps plus tard, son fils vint dans le pays de son père. Et il vit enfin en vraie vue le palais jouxtant la mer et les arbres et la végétation. Mais, lorsqu'il vit en vraie vue ce qu'il n'avait jamais vu qu'en peinture, il fut profondément déçu.

     

     

     

    Il fit chercher partout le peintre, qui était très vieux, et il lui dit: «Tu m'as, par ta peinture, totalement jeter dans l'erreur. Ce que tu as peint jadis pour mon père est bien plus beau que la réalité. Et pour ce mensonge, pour cette illusion dans laquelle je suis resté pendant tant d'années à cause de toi, je veux te tuer. Mais avant cela, je veux que tu finisses la peinture. Je veux que tu peignes la mer en son entier.» Il pensait à part soi: «Peut-on peindre la mer en son entier?»

     

    Le vieux peintre, tremblant, se fit apporter ses pinceaux et ses couleurs. Il peignit le restant de la mer si bien, de façon si vrai, que la mer qu'il avait peinte se mit à déborder de la peinture et envahir la pièce du palais où se trouvait le jeune prince et sa cour.

     

     

     

     

    Ensuite le vieux peintre, dans l'eau jusqu'à la taille, peignit une barque, un mat et une voile et devant le prince et la cour médusés, il embarqua, peignit un vent qui soufflait à tout rompre, hissa la voile et disparut à l'horizon de sa propre peinture.

     

     

     

    Julos Beaucarne

     

     

     

     

     

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