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Figure de proue
Figure de Proue
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Le Temps s'écoulait de façon tranquille, presque tristement,avec l'angoisse qui tenaillait sans cesse
les quelques rares matelots encore de ce monde.
Elle se tenait debout, à la proue du bateau,
ses longs cheveux roux malmenés par le vent...
Ne se lassant point de regarder au loin...Pendant que les hommes sur le navire la contemplaient,
avec dans leurs yeux tout l'amour encore possible
chez des êtres qui avaient tout perdu...
Même la lucidité, chez quelques-uns, commençait à faire défaut.
Les quelques marins qui avaient survécu après la grande Tempête,
survenue quand, on ne se rappelait plus trop,
veillaient sur elle avec dévotion.
Elle était si belle ainsi dans sa robe battue par les vents marins.
Ils ne poussaient pas l'audace jusqu'à lui parler, oh non!...
Mais ils veillaient sur elle...
Elle était tout ce qui leur restait d'un passé heureux...
Un passé qui devenait de plus en plus confus.
Il y avait si longtemps...tellement longtemps.
Mais elle leur était fidèle,
toujours à guetter pour eux le Lointain,
pour quelque monde inconnu.
Combien de saisons s'étaient écoulées,
personne ne s'en souciait plus.
Toutes les pensées, tous les espoirs résidaient
dans la contemplation de cette silhouette
accrochée au bastingage du navire avec toute l'espérance du monde.
Leurs âmes, leurs corps, ils lui avaient remis tout entier!
Tous les efforts des marins consistaient à inventer mille moyens
pour maintenir les forces de leur déesse, de leur reine...
Ils savaient qu'elle comptait sur eux
pour qu'ils lui soient fidèles à leur tour...
De nuit, comme de jour, une vigile était au poste
pour que jamais la silhouette, devenue presque irréelle
ne soit sans surveillance.
...Ce soir-là, la mer était d'acier,
la Lune s'y reflétait sans douceur, avec un oeil menaçant.
On n'osait regarder plus loin que les pâles reflets...
Les ténèbres s'y trouvaient,
cherchant à les engloutir avec malveillance,
ils en étaient persuadés.Ils n'osaient regarder,
ils craignaient d'y rencontrer le regard de la Mort,
le vide total, leur démence...
...Ce soir-là, le marin désigné pour rester sur le pont
était bien heureux.
Il se sentait le marin le plus chanceux du monde.
Quelques heures à veiller sur la Dame
à la robe couleur bleu nuit, n’était-ce pas le plus grand bonheur
qu'un marin comme lui puisse espérer?
Curieux il était, notre marin...
Un besoin intense de dire son amour à sa Reine...
Oserait-il s'approcher?
Juste un peu, juste assez
pour qu'elle puisse entendre ses mots
qu'il gardait en lui depuis toujours...
"Ma Dame?"...Souffla-t-il doucement pour ne pas l'effrayer...
Attendant impatiemment une réponse...
Aucune réponse, non, mais il lui sembla deviner
un mouvement de ses mains agrippées au bastingage...
Un peu de hardiesse monta en lui...
"Ma Dame, pardonnez mon audace,
permettez-vous que je m'approche un tantinet?!"...
dit-il, la voix tremblotante,
le coeur parti au galop comme un cheval fou!
Ne recevant pas de réponse négative,
convaincu d'avoir vu ses mains bougées...
Ou était-ce son grand désir
qui lui faisait voir ce qu'il voulait bien voir,
il s'avança encore plus...
Il pouvait presque toucher les plis soyeux de sa robe
dont la couleur ressemblait étrangement
à cet ancien drapeau emporté au loin par les grands vents
Il resta sans bouger pendant quelques instants,
laissant le tissu caresser son visage,
puis monta les quelques marches de bois vermoulu
qui le séparait encore de sa raison de vivre.
"Ma Dame, pardonnez-moi d'insister...
permettez-moi seulement de vous dire quelques mots...
Vous dire que vous êtes ma raison d'être
depuis la grande Tempête, depuis toujours!
Pousserai-je même mon impertinence
à vous demander de tourner vers moi votre visage?...
Pour que je puisse enfin voir votre regard...
Oh une seule fois, seulement...
Puis je m'éloignerai avec mon Bonheur
sans plus vous importuner
dans votre contemplation du Lointain!"
Personne n'avait jamais osé tel affront depuis…Depuis...Depuis toujours!
Mais notre marin éprouvait un bonheur infini
de savoir que la Dame savait...
Connaissait maintenant son coeur à lui...
Le vent se leva tout à coup,
comme une réponse à son impertinence,
projeta le marin contre le bastingage...
Il sut heureusement s'agripper solidementaux câbles éparses sur le pont,
se retrouvant maintenant au pied de la Dame...
Tout tremblant, mais avec tant de bonheur...
Ou de terreur? On ne le saura jamais...
Il leva les yeux avec respect vers le regard de sa déesse
pour enfin connaître son visage...
Et il rencontra...Les Ténèbres...
Le regard était vide...
Jamais un homme n'avait vu un tel Vide,
un gouffre absorbant tout autour de lui.
La nuit noire et éternelle.
C'était la Mort qui le regardait...
Un grand cri d'horreur sortit de la gorge du pauvre homme.
Il aurait voulu courir, s'enfuir...Malgré ses jambes de plomb.
Mais il était trop tard,
le regard le tenait maintenant et pour toujours...
Il tiendrait compagnie éternellement à sa Déesse...
C'était la Mort qui le regardait...
La Mort qui était accrochée au bastingage...
Son cri se perdit sur les flots d'acier...
Personne pour l'entendre...
Que la Lune dont l'oeil satisfait
semblait rejoindre le regard de la Figure de Proue...
Listar
1998(Yabaly)
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Commentaires
2Un marin malinJeudi 6 Décembre 2018 à 21:251998....une époque sombre où la dépression guettait...
pas plus compliqué que ça Marin Malin!
Je ne peux en dire davantage ici.
Peut-être n'était-ce pas une bonne idée de publier ce texte...
Mais peut-être aussi qu'un besoin s'y cache-t-il?
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Un marin malinJeudi 6 Décembre 2018 à 23:47
Cet écrit est tellement savoureux en thermes d’idée, de recherche intérieur qu’il valait la ‘peine’ de l’insérer. Merci
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Un riche texte qui me laisse songeur.
l’auteur(e) veut exprimer des émotions que je ne sais comprendre.
il faudra que m’éclaire La Lune